Frontera / Frontière

Chemin d’Histoire, de Culture, de Partage.

Frontière: étymologiquement du latin frons : qui a donné « front » le mot guerrier et aussi “affronter”  attesté à partir du XIIIème siècle dans son sens actuel qui induit donc clairement l’idée d’un danger au moins potentiel au-delà d’une ligne: la frontière c’est ce qui sépare, ce qui clive, au minimum  ce qui limite.

Mais ce qui désigne le passage (le mot est important) entre deux états a parfois porté d’autres noms. Le limes romain”, qui désigne les limites de l’empire, est souvent un espace de transition: pour les romains, Rome est au centre du monde et plus on s’éloigne de ce centre moins on est “romain”. Ce n’est pas une ligne extérieure qui borne brutalement l’empire; les territoires conquis sont sécurisés par le formidable réseau des “vias”, les villes qui se développent sont dotées des monuments emblématiques qui  en font de “petites Romes”, jusqu’au limes souvent imprécis, où romains et barbares se rencontrent, se combattent, échangent aussi. Certes, quelques longs murs fortifiés évoquent parfois la lignée des séparations brutales, mur d’Hadrien, muraille de Chine et autres murs de Berlin, mais le plus souvent la notion de citoyenneté se fragilise peu à peu, jusqu’à se dissoudre dans le limes.

Une petite ville frontalière actuelle entre la France et l’Espagne illustre ces deux faces de la frontière: pour les espagnols, elle s’appelle Los limites appellation sans ambiguïté ; pour les français c’est Le Perthus, mot venu de l’ancien, “perthuis”, qui désigne un passage, étroit, certes, mais tout de même un passage !

La marche médiévale reprend à peu près le même schéma. Des garnisons commandées par un vassal de l’empereur montent la garde sur ce qui, là encore, plus qu’une ligne tranchante, est un espace de transition, autant dire transitionnel.

C’est cette complexité de la notion de frontière qui fait son intérêt : ce qui sépare est aussi un espace de circulation, un lieu d’équilibre et d’échanges, qui génère un imaginaire spécifique.

Les territoires de ce que furent les comtés catalans septentrionaux, présentent à cet égard une singularité tout à fait remarquable, inscrits entre deux frontières : celle du traité de Corbeil, qui en 1258 fixe les limites entre France et Aragon sur la ligne des Corbières… que l’on appelle en ce temps Pyrénées ! Et celle du traité de Pyrénées de 1659, toujours actuelle, qui déplace la France vers le sud… jusqu’à nos Pyrénées par déplacement de projections d’imaginaire et d’expression de souverainetés!

Pour mémoire,  entre ces deux dates, la Catalogne a fait partie d’un  puissant état en Méditerranée: la couronne d’Aragon y a étendu son emprise jusqu’à des confins où se trouve Castel-horizon  et la civilisation catalane a donné au monde occidental des joyaux: la première ébauche d’une constitution qui, bien avant la “Carta Magna” anglaise, répartit les pouvoirs entre le souverain et les différentes composantes de la société, Ramon LLull, illuminé bien avant le siècle des Lumières, considéré comme le premier grand philosophe occidental, sans oublier les traités de droit maritime, de cuisine ou d’érotisme…

Sur le plan politique, le Traité des Pyrénées, en donnant les terres septentrionales à la France, ponctue la fin de cet âge d’or, en réalité déjà largement mis à mal par l’émergence d’états nationaux dans laquelle la Catalogne, ballottée entre France et Espagne en construction, a perdu d’abord de son pouvoir, puis son autonomie. La page n’a d’ailleurs jamais été tournée. Au sud de la chaîne pyrénéenne, où le pouvoir espagnol centralisé en Castille, malgré le Cid,  Cervantès et Don Quichotte n’a pas su créer un imaginaire commun à toute la péninsule, la Catalogne de la Generalitat revendique toujours le retour vers une forme d’indépendance, ou tout au moins une large autonomie. Au nord, la France, à coups de batailles de l’imaginaire gagnées où figure en bonne place la réussite de son école  réputée obligatoire, laïque et gratuite a au contraire su agréger l’immense majorité de ses citoyens à une grand roman national qui va de Vercingétorix à De Gaulle et de Ronsard à Johnny Halliday; là, des minorités politiques et culturelles cherchent une place difficile à cerner et la question pour certains reste vive.

Notre propos se situe en dehors de ces débats : au départ, il y a le plaisir de la marche dans des paysages extraordinaires, qui peu à peu révèle un fil conducteur historique, géographique et géologique, celui de la frontière de Corbeil. Rapidement, à ce plaisir s’ajoute celui de la découverte de châteaux, de tours de guet ou à signaux, d’anciennes bornes frontalières, les unes connues et répertoriées, d’autres moins connues, parfois signalées par des bergers ou des chasseurs, certaines enfin “inventées” au sens ou on découvre une grotte, retrouvées sur un rocher au milieu des ronces. A ces joies de plein air s’ajoute ensuite celle, plus “universitaire”, des lectures, des mises en correspondance, des vérifications et des hypothèses autour de ce qui devient un authentique axe de recherches. Aux marcheurs initiaux s’ajoutent des experts : historiens, botanistes, géologues, informaticiens et photographes apportent leurs éclairages, corrigent des erreurs.

Ce site est le résultat, modeste et en évolution permanente, de cette aventure : il veut être un outil de partage de ces plaisirs, en continuant à accueillir les apports, tout en proposant des idées de promenade et de découverte.

Département des Pyrénées-Orientales (ou à peu près…), Catalogne française, Catalogne Nord, pays Catalans Septentrionaux quel que soit le nom retenu, une évidence s’impose : nous vivons ici entre deux frontières et cela agit sur nous, comme sur ceux qui vivent de l’autre côté.

La ligne aujourd’hui largement oubliée, qui va de Leucate à l’Hospitalet près l’Andorre nourrit encore notre imaginaire. Paysages, toponymes. histoire,  légendes et intérêt des sociétés d’onomastique en font foi.

Nous proposons quatre “lignes”.

La première trace,
en pointillés, est celle de la frontière elle-même, telle qu’établie au traité de Corbeil. Il s’agit assez largement d’une suggestion: la séparation entre les deux puissances que sont l’Aragon et le royaume de France, si elle est globalement précise, fait cependant l’objet d’ajustements permanents d’une part, et c’est pourquoi nous préférons parler de “Puissances”. Il ne faut décidément pas assimiler ces configurations aux états modernes tels que nous les connaissons aujourd’hui. Sous l’autorité d’un suzerain parfois peu efficace et contesté, il s’agit plutôt d’amalgames de propriétés privées, familiales, avec parfois des possessions à cheval sur les deux espaces, possessions elles-mêmes susceptibles de varier au gré d’une succession, d’une alliance, du poids et de l’influence de l’église comme du Pape de Rome, d’Avignon ou d’ailleurs. Le Donezan,  les Fenouillèdes, la Baronnie de Joch, les abbayes, les ordres monastiques, combattants ou non, les délimitations des évêchés, donneront une idée de cette complexité. Par ailleurs, la ligne de séparation fait l’objet de “micro-ajustements” permanents au gré de revendications et d’arbitrages, ici pour un territoire de pacage, là pour un droit de pêche ancien : la situation à Leucate et Fitou sera exemplaire de ce point de vue.

Une deuxième trace,
en rouge, est celle de “la voie praticable”, la plus proche de la frontière… Cette “directissime”, si elle renonce parfois à la “rattlla*” stricte pour cause de passage trop difficile ou engagé, la suit cependant par  des chemins accessibles à pied ou en VTT. Elle suggère et invite à la création d’un “trail” exceptionnel, de plus de cent dix kilomètres de longueur et de plus de dix mille mètres de dénivelé positif, avec une variété de paysages sans égale, de la haute montagne à la mer en passant par les paysages intermédiaires de forêts et de garrotxes, offrant au regard des sites historiques, panoramiques ou géologiques qui s’égrènent de part et d’autre.

La troisième trace,
en jaune, s’engage vers la découverte de ces sites. Dans ce parcours, (ces parcours vaudrait-il mieux dire), pour flâneurs, en famille ou entre amis, on prendra le temps de quitter la “directissime” pour aller visiter un monument, un site naturel, pour découvrir une production locale, se restaurer, passer une nuit… Le fil conducteur reste cependant la frontière: toutes les propositions sont à peu de distance à vol d’oiseau de celle-ci et gardent avec elle un lien organique, géographique, culturel, que ce soit dans un parcours linéaire ou rayonnant…
Ce dernier parcours est divisé en 22 étapes, qui peuvent se regrouper par deux ou trois, le temps d’un week-end, de quelques jours de congé.

Une quatrième trace,
en noir, sera celle des vététistes, qui parcourront, par étapes, d’un maximum de 50 km, cette frontière. Pour eux ils auront droit à un aller-retour.

            Quel que soit le chemin choisi, le voyageur pourra toujours passer par les traces les plus manifestes de la frontière que sont les bornes. Encore faut-il préciser que d’autres marques,  le plus souvent granitiques, parfois calcaires ou schisteuses, se sont ajoutées aux bornes au sens strict, celles  datant de temps proches de Corbeil, comme celles maçonnées plus récentes, vraisemblablement préalables aux négociations du traité des Pyrénées. Au premier rang de ce que nous appelons “des pierres remarquables,” qui jalonnent la frontière en s’ajoutant ou se substituant aux bornes stricto sensu, figurent les dolmens, témoignages venus de la nuit des temps, et souvent “récupérés” pour marquer la frontière. Cette réutilisation de blocs anciens est toujours d’actualité : ainsi, une instance comme l’ONF “recycle” parfois une borne ancienne avec croix et fleurs de lys, que des chevrons verts et blancs limitant aujourd’hui une forêt ou un pacage sauvent de l’oubli… D’autres ont été empilées par la succession des ères géologiques comme le roc Cornut, d’autres par la main de l’homme comme à Quérigut pour nous offrir le souvenir du château de Donezan dans son écrin hercynéen.

Faut-il le préciser : il reste des dizaines de bornes à (re)trouver et des dizaines de kilomètres de chemins qui ont vu passer Parfaits,  Nyerros et Cadells à restaurer pour les passionnés…  

Ainsi, du sportif adepte de l’effort soutenu, en passant par le randonneur averti et jusqu’au promeneur plus enclin à la flânerie, chacun pourra choisir sa façon de parcourir ce qui reste en tout état de cause un chemin d’Histoire, de Culture et de Partage.

Trois temps décisifs

1258,    date du traité de Corbeil le 11 mai 1258, par lequel, à la faveur de la croisade contre les albigeois, Saint-Louis Roi de France, abandonne à Jacques 1er du Royaume d’Aragon tous les droits qu’il possède sur les terres situées au sud des Fenouillèdes jusqu’à Barcelone depuis Charlemagne. En contre-partie  Jacques Ier renonce aux droits qu’il aurait pu avoir sur Toulouse, le Languedoc et d’autres terres au nord des Pyrénées qui avaient pu être touchées par l’hérésie combattue par les croisés du nord, sauf Montpellier, Aubenas et la Baronnie du Carladès dans le Massif Central. Les avatars du Royaume de Majorque face au royaume d’Aragon laisseront bien vite absorber ces terres enclavées du nord des Corbières  par le royaume de France contre 120 000 écus d’or en 1349 . Il en résulte une nouvelle frontière située principalement sur les Corbières, mais aussi sur le massif des Madres, celui du Carlit et du Puymorens. La limite de la partie continentale du Royaume de Majorque, les comtés de Roussillon et de Cerdagne, absorbés par l’Aragon dès 1345 en  se trouve au sud de cette ligne.

1659,    date du traité des Pyrénées. La province du Roussillon est rattachée à la France, sauf la petite enclave de Llivia  et la plus grande partie de la Cerdagne qui restent espagnoles. La frontière de 1258 est alors supprimée, la frontière entre états passe de Salses à Cerbère, mais les habitants continuent d’appartenir à deux entités qui ont évolué différemment : le pays catalan et le pays occitan, parlent deux langues vernaculaires devenues différentes, le catalan en Roussillon,  Conflent, Vallespir, Cerdagne et l’occitan en Fenouillèdes. En 1700 le Français sera langue officielle partout malgré la résistance d’une partie du clergé.

1790,    la Révolution Française crée les départements français qui vont se «fédérer». Celui des Pyrénées Orientales a vu le jour le 4 mars 1790. Ce département a été constitué à partir de l’ancienne province du Roussillon à  laquelle a été ajoutée une partie des Fenouillèdes historiques.

*ratlla / ligne en catalan