Vous quitterez Latour de France en empruntant l’avenue Charles de Gaulle. Juste avant le camping, vous tournerez à droite pour suivre un bon chemin le long de l’Agly. Ses eaux arrivent de Cubières sur Cinoble où est né Bélibaste, celles qui ne sont pas infiltrées dans le massif calcaire sont passées par les gorges de Galamus, terrain de jeu des adeptes du Canyoning, sous l’œil de Saint Antoine et de son ermitage sous roche. D’autres eaux rejailliront à la fin de votre parcours. Nous avons lu que certaines ont été détournées pour qu’Estagel, peu de temps après le traité de Corbeil puisse faire tourner son moulin dans un moment d’entente cordiale sous les bons auspices des abbés de Lagrasse. C’était bien longtemps avant la création du parking du vieux moulin. Un canal existe avec ses passerelles le long de l’Agly. Si vous le preniez, il vous mènerait au gué, sous le pont que nous vous conseillons pour passer de l’autre côté de la rivière et rejoindre le Verdouble.
Mais si vous passiez par là, vous ne verriez pas la statue d’Arago, physicien et homme politique français. Avec Lamartine et quelques autres il a participé, à la faveur des journées de Juillet 1848, au rétablissement de la république. Celle-ci allait abolir l’esclavage. Notre parcours vous conduira au petit enclos de sa statue où à la faveur de quelques conseils de révision ou de quelques fêtes bien arrosées ont été retrouvés quelques moutons et un manteau de berger sur les épaules de bronze de l’homme politique qui ne s’est jamais offusqué. Ces fêtards étaient peu au courant du statut d’Estagel pendant des siècles, sorte de condominium aux droits partagés entre le Roi de Majorque, d’Aragon, d’Espagne ou de France et l’Abbé de Lagrasse jusqu’à la fin de l’ancien régime. Nous avons signalé ailleurs ce partage, cette porosité des souverainetés sur une frontière que nous ne pouvons pas considérer comme une ligne fixe de fils de fers barbelés comme on en trouve aujourd’hui.
A Estagel a été découvert un cimetière wisigothique. Mais passez à la chapelle Saint Vincent, cet autre saint ibérique qui revient souvent sur ce parcours, comme Sainte Eulalie, Sainte Colombe ou Saint Fructueux avant de trouver le pont où vous auriez pu arriver différemment. Rejoignez comme déjà signalé pour ceux qui auraient suivi le chemin du canal, la passerelle sur le Verdouble.
Au-dessus de vos têtes, la colline cacherait un cimetière des Maures. Ont été explorées dans les environs des grottes et trouvés des artefacts très anciens, paléolithique, néolithique, chalcolithique. Mais nous nous dirigeons vers le plus vieil habitant des lieux, l’homme de Tautavel. Nous ne nous attarderons pas sous la falaise et la laisserons aux chercheurs intéressés.
En suivant l’itinéraire de notre carte, vous serez bientôt au Mas de Jau, Château de Jau sur les étiquettes des rouges, des blancs, et des rosés. Subsiste une tour des temps anciens. Ses propriétaires actuels sont les héritiers lointains du domaine de l’abbaye de Sainte Marie de Jau près de laquelle vous êtes passés avant de rejoindre Mosset. Un parc zoologique vient d’ouvrir ses portes tout à côté. Un loup de Sibérie s’en serait échappé. Depuis le temps il a dû rejoindre ses contrées.
Vous prendrez 600 m après le mas la direction plein nord en suivant un chemin qui vous fera arriver à la Tour de Tautavel, aussi nommée Torre del Far. Nous reviendrons sur l’originalité de ce nom. La pente est rude par endroits. La végétation de garrigue rare. Vous serez à proximité d’un champ de manœuvres militaires. Un lieu particulier y est mentionné, Pedra Dreta. C’est à la limite de quatre communes, Cases de Pène, Espira, Tautavel, Rivesaltes. Une borne marque à cet endroit les limites du comté du Razès, celle du Peyrepertusés, celle du diocèse de Narbonne. Gérard bile, passionné par l’histoire de son village connaît bien l’ancien territoire du Prieur d’Espira. Il nous a conduits vers quelques bornes autorisées qui le délimitaient. Selon lui elles remontent au temps des romains ou de Charlemagne. Une croix vient sacraliser leur intangibilité. Un S a été surimposé quand elle a été contestée mais réaffirmée par le roi Sanche de Majorque.
De la tour vous aurez un panorama exceptionnel sur le Roussillon, sur la montagne de Tauch, sur les Fenouillèdes. Votre œil distinguera facilement Quéribus, plus difficilement Aguilar sauf pour les familiers du lieu. Vous serez là-bas bientôt. Tautavel s’imposera alors à vos yeux.
Vous descendrez par le sentier du château. Soyez prudents. Il ne reste que quelques pans des murs de cette forteresse des comtes de Besalu passée à la famille d’Empuries, avant que le Roi d’Aragon n’en hérite. Les mines françaises en ont eu raison pour ne pas laisser derrière la nouvelle frontière des points de fixation et de refuge pas ou mal contrôlés. Le village qui était dans ses murailles a lui aussi été détruit. Les habitants, comme à Collioure ont dû bâtir ailleurs, sans la protection des murailles ancestrales. C’est le village de Tautavel actuel.
En quittant le château vous aurez à droite, sous la falaise, la grotte des sorcières, cova de les bruixes. Ses fouilles ont montré qu’elle avait pu être habitée très longtemps. Des cérémonies conjuratoires s’y déroulaient conduites par le curé du village il y a peu dans la profondeur du regard du vieil homme de Tautavel.
Vous finirez par arriver au village et vous vous retrouverez à l’entrée du Musée. Sa visite sera pour aujourd’hui ou demain, mais ne le manquez pas. La grotte de l’Arago vous sera expliquée, ses découvertes mises en perspective, même si elles vous disent peu de celles des enfants du village, de leurs instituteurs passionnés qui ont recueilli les premiers artefacts et toutes les bonnes pistes. Ils ont laissé la place à Jean Abelanet, à une autre université pour des trouvailles, des inventions, sans cesse renouvelées depuis plus d’une cinquantaine d’années grâce aux équipes autour de Henry de Lumley.
Trouvez un moment pour vous reposer, vous délasser. Le vin pétillant du lieu à toujours été pour nous frais et généreux. Mais une douche en attendant peut-être ce qu’il y a de plus urgent.
Bernard d’Alion, marié en 1236 à Esclarmonde de Foix morte parfaite cathare, rattrapé par l’inquisition, condamné pour relapse le 3 septembre 1258, est mort brûlé sur un bûcher le lendemain 4 septembre, place de la Canorga à Perpignan. (Il me semble avoir lu que ce fut même devant l’évêque d’Elne, … quelle fête !)
(Place de la Canorga : place actuelle de la Révolution Française.)
précisions Michel Grosselle